Le manque de sommeil peut-il réduire l’espérance de vie ?

Au cours du webinaire Pension Day de la NN Academy, nous avons interviewé le professeur Gilles Vandewalle, expert en sommeil à l'Université de Liège. Nous lui avons posé quelques questions que, sans doute, bon nombre d'entre vous se posent.

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Dans cet article

    Un manque de sommeil peut-il être la cause d’une diminution de l’espérance de vie ?

    En bref, oui. Évidemment, la réponse est plus nuancée que cela. La littérature montre que les gens qui dorment en moyenne moins de 5 h par nuit, ont généralement une vie un peu plus courte.  Et ça, c'est parce que le sommeil ne peut pas se résumer uniquement à sa durée.  Il y a la qualité du sommeil, mais aussi d'autres facteurs.  Dormir trop, plus de 9 ou 10 heures en moyenne (à l'âge adulte), est également associé à une diminution de l'espérance de vie, probablement parce que l'augmentation du sommeil est un symptôme que quelque chose va moins bien au niveau de la santé.

     

    On entend souvent : "OK, je ne dors pas assez, mais je rattrape bien mon sommeil". Peut-on rattraper le sommeil ?

    On rattrape, mais pas un pour un. Le sommeil devient plus intense et on peut récupérer une partie de ce qui a été perdu.  Maintenant, le sommeil ne sera pas exactement le même, et ne remplira pas ses fonctions exactement de la même façon. Et donc, là aussi, il est conseillé d'avoir un sommeil régulier et non pas de courtes nuits en série, suivies de quelques nuits de récupération.  Cela est globalement associé à une augmentation des problèmes de santé en général.

     

    Est-il vrai que le manque chronique de sommeil constitue une cause potentielle importante de la maladie d'Alzheimer et de démence ?

    La réponse courte, c'est oui.  Il y a effectivement un lien. Maintenant, il faut nuancer tout ça, mais c'est potentiellement une cause importante de démence.  En tout cas, cela peut augmenter le risque de développer une démence. Parmi les différentes fonctions du sommeil, la régulation de la circulation des fluides qui circulent dans notre cerveau, semble importante. Ceux-ci vont mieux circuler pendant le sommeil, ce qui va nous permettre d'éliminer plus facilement les résidus du fonctionnement cérébral. Il est donc nécessaire d'avoir des épisodes de sommeil de qualité pour éliminer ce qui reste du fonctionnement de notre cerveau, les "déchets", pendant la journée.

     

    Le sommeil profond se révèle essentiel pour la santé de notre cerveau en tant qu’organe. Pouvez-vous nous expliquer ce qui se passe pendant le sommeil profond ?

    Il faut d'abord expliquer ce qu'on entend par sommeil profond et sommeil lent. Le sommeil lent est le sommeil pendant lequel notre cerveau fonctionne via des ondes lentes et où il y a un rythme lent dans le cerveau. À côté de cela, il y a le sommeil dit paradoxal, qui est un sommeil caractérisé par une activité un peu plus intense et dans lequel on va rêver plus souvent. Les ondes cérébrales qu'on produit dans le sommeil lent, ont été associées à plusieurs choses, notamment à essayer de resetter le fonctionnement cérébral et la manière dont les neurones communiquent entre eux.  Ça va aussi contribuer à échanger de l'information pendant le sommeil et à la consolidation de la mémoire. Et c'est pour cela qu'on pense que le sommeil aide en partie à la mémoire.

    On a aussi remarqué que, pendant que ces ondes lentes étaient produites en dormant, on facilitait la circulation des fluides dans le cerveau. C'est à ce moment-là que, réellement, il y a un peu plus d'espace entre les neurones du cerveau, un peu comme une éponge qui serait moins comprimée, et le fluide passe donc plus facilement à travers, pour éliminer les résidus du fonctionnement du cerveau. Dans ces résidus, on retrouve des protéines ou des molécules qui peuvent précipiter l'apparition de la maladie d'Alzheimer.

     

    Bref, notre cerveau subit en quelque sorte un nettoyage pendant le sommeil profond. Ce processus de nettoyage permet d’éliminer les déchets, parmi lesquels les protéines bêta-amyloïde et tau, toutes deux associées à la neurodégénérescence. Mais que se passe-t-il si nous n’avons pas suffisamment de sommeil profond ?

    Effectivement, on pense qu'il y a deux protéines importantes dans le développement de la maladie d'Alzheimer, la protéine amyloïde bêta et la protéine tau, qui interviennent dans le fonctionnement normal des neurones. On en produit quand les neurones fonctionnent. Parfois, on produit certaines classes de ces protéines qui sont neurotoxiques et qui peuvent donc avoir un effet négatif sur les neurones, et même induire leur mort. Elles peuvent aussi parfois avoir tendance à s'agréger et à former des plaques dans le cerveau.  Donc vous imaginez bien que s'il y a des plaques qui s'accumulent dans le cerveau, ça va contribuer à ce que le cerveau fonctionne moins bien et cela pourrait même contribuer à induire la mort de certains neurones.

    Si on ne dort pas assez, ou pas avec une qualité suffisante, on risque de moins éliminer les protéines qui sont présentes dans le liquide céphalo-rachidien. On augmente donc le risque que ces protéines y soient neurotoxiques et qu'elles s'agrègent.  Et si elles s'agrègent, elles vont contribuer à ce qu'on ait un moins bon sommeil. C'est un peu un cercle vicieux, puisque si on dort mal, on augmente le risque d'avoir la présence de ces protéines et qu'elles s'agrègent. On doit donc essayer de mieux dormir ou de privilégier un meilleur sommeil en général, pour au moins  ralentir un processus ou repartir dans un cercle qui serait peut-être plus vertueux.

     

    Le stress chronique peut provoquer un burn-out. Mais un niveau de stress élevé peut également causer un mauvais sommeil. Pourquoi ?

    C'est à nouveau un cercle vicieux.  On est anxieux, donc on dort moins bien ; et si on dort moins bien, on favorise l'anxiété le lendemain.  Il y a d'ailleurs un lien fort entre anxiété et insomnie, sans qu'on sache quel est l'élément déclencheur.  On sait que ce sont les mêmes parties du cerveau qui régulent notre sommeil et qui peuvent générer l'anxiété.  Cela est particulièrement nuisible pour le sommeil paradoxal qui permet de digérer les émotions, le stress de la journée.  S'il est perturbé, cela peut donc nuire à cette "digestion". A un autre niveau, on a aussi constaté qu'on a tendance à prendre plus de risques, quand on a peu dormi, ce qui peut affecter la qualité des décisions (et engendrer du stress?)

     

    Nous constatons que de nombreux indépendants dorment trop peu. Cela fait partie de notre culture. On considère le sommeil comme une perte de temps. Comment pouvons-nous changer les mentalités ?

    Il y a une croyance que le sommeil est quelque chose d'inutile, mais tous les animaux dorment, c'est donc essentiel. Cette croyance peut venir du fait que certaines personnes qui dorment peu, sont perçues comme de grands performeurs.  On associe donc la performance au fait de peu dormir, mais nous ne sommes pas tous égaux devant le sommeil.  Pour travailler efficacement, il vaut mieux s'écouter et avoir eu une bonne nuit de sommeil.

     

    On peut donc être fier de dormir huit heures ?

    On devrait être fier de dormir huit heures dans un monde assez anxiogène.  Si on arrive quand même à dormir, c'est plutôt bon signe.

     

    Pour dormir suffisamment, il faut aussi veiller à prendre assez de temps. Pouvez-vous nous résumer pourquoi il est important de dormir suffisamment ?

    Le sommeil est important à court terme, il aide à être vigilant et attentif.  Il contribue à la mémoire et permet de ne pas prendre trop de risques. À plus long terme, cela a une incidence sur plusieurs maladies : anxiété, insomnie, dépression, maladies neurodégénératives.  Avoir un sommeil de bonne qualité ne peut qu'avoir un impact positif sur notre santé en général, et cérébrale en particulier.

     

    Comment faire pour mieux dormir ?

    Avant d'aller dormir :

    - Il faut une pièce calme.

    - Éviter d'être trop stimulé avant le coucher.  Prévoir un moment de détente.

    - Éviter de boire trop d'alcool.  L'alcool aide à s'endormir, mais perturbe la deuxième moitié de la nuit.

    - Éviter de boire trop de stimulants (p.ex. la caféine).

    - Éviter d'avoir trop de lumière le soir, e.a. la lumière des écrans.

     

    Pendant la journée :

    - Avoir une activité physique.

    - Avoir assez de lumière (du jour).  Cela aide à réguler l'horloge biologique.

     

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