Jan De Bondt, Executive in Residence à la Vlerick Business School, a réuni six spécialistes autour de la table pour un débat portant sur les perspectives d’avenir des marchés financiers. Ses interlocuteurs étaient les suivants :
- Julie Dickson, Investment Director chez Capital Group
- Marc-Antoine Collard, Chief Economist Rothschild & Co Asset Management Europe
- Guy Wagner, Fund Manager Global Flexible Sustainable chez Funds for Good
- Youssef Bougroum, Investment specialist chez M&G Investments
- Steven Bell, Managing Director chez Columbia Threadneedle Investments
- Axelle Pinon, Member of the Investment Committee chez Carmignac
Inflation et taux d'intérêt
Les banques centrales annoncent de nouvelles hausses des taux mais les marchés financiers calculent déjà des baisses des taux dans leurs cours. Quel est votre avis sur la question ?
Marc-Antoine Collard : L’inflation est tenace. Le marché du travail est strict et le chômage est très bas, surtout aux États-Unis. Les chiffres du chômage devront augmenter pour abaisser réellement l’inflation. La Fed devra donc générer un ralentissement sur le marché. Je m’attends à une baisse des taux mais probablement pas en 2023. Je pense toutefois que la Fed ira plus loin dans une telle baisse que ce qui est déjà intégré dans les cours pour le moment. Dans le cas d’une récession, vous n’abaissez en effet pas le taux de 25 points de base chaque trimestre. Vous agissez plus rapidement.
Axelle Pinon : Il est fort probable que la Fed procédera à des abaissements des taux en 2024 plus rapidement que ce qui est prévu. Chez Carmignac, nous tenons compte d’une éventuelle récession en 2024 et des élections sont prévues aux États-Unis l’année prochaine. Ce qui peut certainement accroître la pression d’agir plus fort.
Julie Dickson : Depuis tout un temps en effet, nous nous posons la question de savoir s’il y aura une récession. Mais en réalité, la plupart des gens sont convaincus que c’est le cas. Ce qui importe cependant, c’est de savoir ce qui va se passer après. Selon moi, le potentiel d’une forte relance est certainement existant.
Youssef Bougroum : Je déduis du langage utilisé par la Fed qu’il y aura sans doute une pause au niveau des hausses des taux à court terme. Mais il est fort probable que d’ici la fin de l’année, on enregistre à nouveau des hausses des taux. De plus, on doit se demander quelle va devenir la nouvelle normale : des taux à long terme de 2%? 3%? Des taux nettement plus volatils?
Guy Wagner : À court terme, la Fed n’a aucune raison d’abaisser les taux. Cela se fera cependant en cas de récession sévère. Mais pour le moment, il n’est pas facile de prédire l’avenir.
Steven Bell : Étant donné que la Fed a encore acheté des obligations en mars 2022, il a fallu agir de manière agressive par la suite afin d’augmenter les taux. Il faut admettre que la Fed ne sait pas encore elle-même précisément comment l’économie va évoluer. À mon avis, les taux continueront à augmenter mais il y aura également des baisses agressives des taux l’année prochaine.
Axelle Pinon : On parle déjà tout un temps des États-Unis mais la problématique est la même en Europe. La Banque Centrale Européenne a cependant attendu plus longtemps que la Fed. Il y aura donc probablement encore deux ou trois augmentations des taux au moins en Europe.
Crainte de la récession
En Allemagne, la récession frappe déjà…
Steven Bell : C’est exact mais il s’agit d’une récession avec des chiffres de chômage historiquement bas. Ce qui est exceptionnel. Généralement, une récession va de pair avec des chiffres de chômage élevés ou en hausse. Par ailleurs, on ne peut nier qu’il y a une différence entre les États-Unis et l’Europe. Après le Covid, la consommation en Amérique est restée très élevée : les Américains ont en effet dépensé ce qu’ils avaient économisé pendant la crise du Covid. En Europe par contre, les gens se sont mis à épargner davantage par crainte de factures énergétiques exorbitantes. À l’heure actuelle, on assiste à un regain de confiance vis-à-vis de l’apport d’énergie et je m’attends donc à une augmentation de la consommation en Europe, allant de pair avec davantage de hausses des taux. Je pense que les taux en Amérique seront même plus bas qu’en Europe d’ici fin 2023 ou en 2024, ce qui n’est encore jamais arrivé depuis la création de la BCE.
Julie Dickson : En Europe, et au Royaume-Uni surtout, il y a en effet encore énormément de pain sur la planche si l’on veut abaisser l’inflation.
Marc-Antoine Collard : Lorsqu’on parle de récession, beaucoup de gens pensent spontanément à 2007 mais cette situation était unique dans l’histoire. Je m’attends plutôt à une récession comme celle de 1990 aux États-Unis, qui ne sera pas trop sévère et ne durera pas trop longtemps.
Une année 2022 historique
L’année écoulée s’est révélée pénible pour de nombreux investisseurs, tant au niveau des obligations que des actions. Le fait que les deux actifs aient été à ce point durement touchés était-il le résultat d’un événement unique dans la vie ?
Julie Dickson : Il ne s’agit en tout cas pas d’une période évidente pour les gestionnaires de patrimoine. Mais bien que l’appétit de risque de nombreux investisseurs ait été refroidi, il est encore parfaitement possible de composer un portefeuille équilibré.
Axelle Pinon : Nous avons constaté que des valeurs refuges, comme les certificats de trésorerie américains ont perdu leur statut de placements sûrs. Fort heureusement, la situation s’est redressée entre-temps, ce qui a permis de rassurer de nombreux investisseurs. Je m’attends cependant toujours à une grande volatilité pour l’année à venir, ce qui accentue davantage encore l’importance d’une gestion active.
Marc-Antoine Collard : Les dix dernières années, il n’y en a eu que pour TINA. There Is No Alternative pour les actions. Ce qui n’est plus le cas actuellement. La prochaine période sera certainement caractérisée par plus de volatilité.
Guy Wagner : En ce qui me concerne, je pense que les actions restent plus intéressantes que les obligations car elles offrent davantage de potentiel.
Youssef Bougroum : Lorsque les taux sont plus élevés, il faut reconsidérer les valorisations des actions. Ce qui est logique.
Steven Bell : Pendant des dizaines d’années, les employeurs ont été le centre de gravité, en raison de l’outsourcing, de la montée de la Chine et d’une syndicalisation plus faible. Entre-temps, les travailleurs ont retrouvé plus de pouvoir. La question à présent est de savoir si l’intelligence artificielle va permettre aux entreprises de remplacer des collaborateurs par des outils d’IA, ce qui permettrait de continuer à faire baisser l’inflation.
Julie Dickson : Pendant des années, les valeurs de croissance ont été dominantes et ont poussé le marché financier vers l’avant. Les choses ont changé en 2022, mais le phénomène réapparaît cependant cette année. Il faut savoir néanmoins que les marchés sont désormais nettement plus équilibrés que par le passé.
Dans quoi investir ?
Dans quoi investiriez-vous personnellement d’ici les six à dix-huit prochains mois ?
Julie Dickson : Un fonds commun me semble idéal comme point de départ. Il possède du potentiel mais offre également une certaine sécurité.
Youssef Bougroum : Dans un proche avenir, je pense que ce sont surtout les interventions tactiques des gestionnaires de fonds qui feront la différence. Dans le passé, il suffisait de veiller à une allocation stratégique puissante des assets mais cette époque est révolue. Un choix tactique des assets se révèle nettement plus important à l’heure actuelle.
Marc-Antoine Collard : Je pense surtout à l’Investment Grade Fixed Income et aux assets ESG.
Guy Wagner : À mon sens, les obligations ont peu de valeur et je mise surtout sur les actions. Les actions japonaises disposent selon moi d’un sérieux potentiel. Elles se situent peut-être hors de la zone de confort de nombreux investisseurs mais il y a certainement des possibilités à ce niveau.
Axelle Pinon : Je trouve les fonds communs intéressants. Par ailleurs, je m’intéresse aux assets qui ont déjà intégré une récession dans leur cours. Selon moi, Credits offre un beau potentiel, tant en Investment Grade qu’en High Yeld. Par ailleurs, je suis d’accord avec le fait qu’une gestion active performante gagne en importance. En ce qui concerne les assets qui n’ont pas encore intégré la récession dans leur cours, je m’intéresse aux actions décorrélées, du Japon ou de marchés émergents par exemple. Les sociétés chinoises peuvent elles aussi être intéressantes, au même titre que des entreprises du Mexique, de Corée du Sud et de l’Inde.
Steven Bell : Je suis d’accord avec le Japon. À court terme, je pense également aux obligations d’État. Pour terminer, je m’intéresse aussi aux small caps américaines.
La conclusion est d'ores et déjà que les bourses connaîtront encore dans les mois à venir une certaine volatilité. Mais investir à long terme reste un bon leitmotiv pour parvenir à une sérénité financière. Et il existe certainement des opportunités d'investir.
Découvrez ici les solutions d'investissement de NN.